Les techniques de capture et de stockage du carbone dit CCUS restent encore peu déployées au niveau mondial. ExxonMobil compte ainsi renverser cette tendance dans les prochaines années. L’entreprise vient en effet d’annoncer un projet à plus de 100 milliards de dollars, une somme record dans ce secteur technologique.
Les CCUS : des technologies nécessaires, mais peu déployées
Depuis la signature de l’Accord de Paris, les CCUS font l’objet d’une attention particulière de la part des décideurs publics. Ces technologies favorisent en effet la capture du carbone émis dans des industries intensives comme le ciment ou l’acier. En outre, elles représentent pour l’heure l’unique solution à la décarbonation d’industries lourdes comme la pétrochimie.
Dans ses scénarios à 2050, l’Agence internationale de l’énergie envisage une croissance très importante de ces technologies. Dans son scénario développement durable, l’agence estime ainsi à 5,6 Gt la quantité de carbone capturée d’ici 30 ans. Il pourrait s’agir d’une multiplication par 100 comparée aux capacités actuelles. Autrement dit, pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, ces technologies devront être déployées massivement d’ici 2050.
Des technologies encore peu déployées
À l’heure actuelle, ces technologies de capture du CO2 restent néanmoins encore très peu déployées dans le monde. Seules une quarantaine d’unités se trouvent ainsi opérationnelles bien que près de 80 projets soient en cours de développement. Surtout, depuis 2010, nous assistons à une baisse du nombre de projets développés traduisant une croissance faible au niveau mondial.
Cela s’explique d’un part par le coût très important de ces technologies dissuadant les investissements privés dans le secteur. De même, ces technologies souffrent d’une image dégradée auprès de l’opinion publique avec l’opposition très forte des mouvements écologistes. Enfin, le transport et le stockage du CO2 exigent la mise en place d’infrastructures couteuses comme des pipelines. La disponibilité de réservoirs de stockage du carbone comme d’anciens puits de pétrole peut constituer une source supplémentaire de difficultés.
Un game-changer pour les CCUS
Dans ce contexte de stagnation des CCUS, ExxonMobil vient d’annoncer un projet gigantesque de 100 milliards de dollars. Localisé à Houston, celui-ci permettra de décarboner des industries lourdes puis de stocker le carbone dans le golfe du Mexique. Le projet bénéficie de la présence massive de gazoducs pouvant transporter du carbone et d’anciens puits aujourd’hui épuisés.
Tout ceci permet à ExxonMobil d’envisager de capturer annuellement près de 100 millions de tonnes de CO2 d’ici 2040. Pour donner un ordre d’idée, les États-Unis, pourtant leaders mondiaux du secteur, ne capturent aujourd’hui que 13 millions de tonnes. D’après le Département de l’énergie, le golfe du Mexique peut permettre le stockage de 500 milliards de tonnes de CO2.
L’avance technologique américaine
Si ce projet venait à voir le jour, les États-Unis deviendraient les leaders incontestés dans le déploiement de ces technologies. À l’heure actuelle, le pays peut déjà se targuer de représenter quasiment 60 % du nombre d’unités installées. Avec 25 unités, le pays fait largement la course en tête devant la Norvège (8) et la Chine (7).
Les deux géants pétroliers américains ExxonMobil et Chevron se sont également fortement positionnés sur ce secteur contrairement aux majors européennes. ExxonMobil a ainsi lancé une branche spéciale, la Low-carbon Solution Business, qui vise des investissements dans 20 projets de capture. Quant à Chevron, l’entreprise mise principalement sur l’hydrogène issu de gaz décarboné avec utilisation des technologies de capture.
Un projet loin d’être fait
En annonçant un projet de 100 milliards de dollars, Exxon Mobil comptait attirer les investisseurs dans les CCUS. L’entreprise se trouve en effet à la recherche de partenaires privés capables de partager les risques sur ces technologies. Le coût encore trop élevé de ces dernières constitue néanmoins un obstacle de taille au développement du projet.
Aujourd’hui, l’essentiel des unités sont utilisées afin de stimuler la productivité des puits pétroliers lors d’opérations dites d’EOR. Cela permet certes de réduire les coûts, mais favorise également l’exploitation pétrolière. En revanche, les technologies de capture souffrent d’un manque de compétitivité en cas de stockage non-marchand du CO2. Une unité dans une centrale à gaz diminue ainsi la compétitivité du gaz face à l’éolien et au solaire.
L’opposition d’une partie des démocrates
Afin de faire face à ces problèmes de coûts, ExxonMobil milite pour un soutien des autorités notamment de l’administration Biden. La compagnie pétrolière défend en particulier une hausse du crédit d’impôt 45Q adoptée en 2018. Elle s’est montrée favorable également à l’instauration d’un marché carbone au niveau national favorisant la compétitivité des technologies de capture.
Néanmoins, le président Biden a accueilli très fraichement les propositions d’ExxonMobil. Au sein de son American Jobs Plan, le président américain n’a ainsi évoqué que deux projets de capture du CO2. Le choix de l’administration se porte de facto sur le développement des énergies renouvelables au détriment des fossiles, même décarbonées. Ce choix se justifie par la pression très importante de la gauche du Parti démocrate complètement opposée aux technologies CCUS.
Pour Exxon Mobil, la difficulté consistera donc à faire passer son projet lors du passage de la loi au Sénat. Une part trop importante des CCUS pourrait cependant menacer l’adoption par la Chambre des représentants de l’American Jobs Plan. Le projet est donc encore très loin d’être finalisé et pourrait même se voir retardé de plusieurs années. Pour ExxonMobil, la partie législative en cours s’apparente donc à une course d’obstacles qui ne fait que commencer.