Le canal de Suez, artère stratégique du commerce mondial, se retrouve de nouveau navigable suite au déblocage du porte-conteneur ensablé. L’ensablement du cargo Ever Given a en effet perturbé pendant 6 jours environ le trafic par le canal. Celui-ci représente tout de même plus de 13% du commerce maritime mondial. Sur les marchés pétro-gaziers, cet incident s’est traduit par une légère remontée des cours du Brent. Mais l’impact se fera sentir davantage sur les produits raffinés, le canal représentant 10 % des échanges mondiaux.
Le canal de Suez dans l’histoire
Un projet clé dans le développement du commerce mondial
Le canal de Suez représente depuis son inauguration en 1869 un point de passage stratégique pour l’économie mondiale. Construit sous la direction de Ferdinand de Lesseps, cet ouvrage permet de relier la Méditerranée à la mer Rouge. Il permet de réduire considérablement le temps de trajet vis-à-vis des routes maritimes utilisées jusqu’alors.
En conséquence, il s’agit d’un point de passage obligatoire dans les échanges mondiaux, représentant aujourd’hui 13 % du commerce maritime. Le colonisateur britannique avait notamment fait de cette artère la porte d’entrée de leurs exportations vers l’Asie. La domination sur le canal constituait ainsi la clé de voûte de l’empire colonial britannique.
Un territoire stratégique disputé
Cette importance dans le commerce mondial a fait du canal un enjeu majeur des conflits géopolitiques entre États. En 1956, le régime Nassérien décide de nationaliser le canal afin d’affirmer l’indépendance du pays vis-à-vis des Britanniques. Cette décision entraîne une intervention franco-britannique-israélienne qui échoue à reprendre le canal sous pression des superpuissances, les États-Unis et l’URSS.
Plus proche de nous, cette artère stratégique a subi les deux conflits israélo-égyptiens de 1967 et 1973. Pour Israël, le contrôle du canal représentait en effet un moyen de pression considérable aux mains de l’Égypte. Il faudra attendre 1978 et les accords de Camp David pour voir les deux pays signer un traité de paix. Depuis lors, l’Égypte assure la libre circulation dans le canal et l’a élargi à 163 km depuis 2015.
Son importance est telle que son récent blocage a perturbé un grand nombre de marchés économiques. À commencer par ceux des énergies fossiles.
13% du commerce mondial bloqué
Forte perturbation des marchés pétroliers et gaziers
Le récent blocage du canal de Suez a entraîné l’arrêt complet du trafic sur cette voie maritime pendant 6 jours. Sur le marché du pétrole, cela signifie que près de 5 % des approvisionnements mondiaux se sont retrouvés perturbés. La crise de Suez a ainsi contraint de nombreux tankers à se détourner vers d’autres routes beaucoup plus longues. Cela a entraîné d’importants retards de livraison du fait que le cap de Bonne-Espérance rallonge de 20 jours le voyage.
En matière de gaz, le canal représente près de 8 % du commerce mondial de GNL. Le blocage a essentiellement touché les pays asiatiques en raison de leurs fortes dépendances aux importations par voies maritimes. L’Europe a également subi certains retards, car le canal représente 25 % des exportations du Moyen-Orient vers l’Europe.
Une situation critique pour les produits raffinés
Mais l’impact le plus important a trait au commerce de produits raffinés et pétrochimiques en direction des raffineries. Le canal constitue en effet un passage clé pour ces marchés avec 10 % du commerce passant sur cette route. La forte consommation asiatique de produits comme le naphta repose en effet à près de 20 % sur le canal.
Cette dépendance asiatique est d’ailleurs vouée à augmenter dans les prochaines années avec la hausse des capacités de raffinage. L’Asie consomme en effet de plus en plus de matières plastiques ainsi que de LPG, notamment en Inde. De fait, le canal a vu une transformation de ses flux d’échanges avec des produits pétroliers venant d’Europe vers l’Asie.
L’absence d’alternatives au canal de Suez
Une baisse de l’activité du canal ces dernières années…..
Le canal de Suez représente donc une artère stratégique pour l’ensemble des marchés pétroliers et gaziers. Cependant, son importance a plutôt diminué ces dernières années, et ce, pour deux raisons. Premièrement, un oléoduc d’une capacité de 2,8 millions de barils/jour a été construit le long du canal allégeant le trafic. À cela s’ajoute un oléoduc israélien vers le golfe d’une capacité de 600.000 barils par jour.
Deuxièmement, le canal n’a pas les capacités suffisantes pour faire passer des tankers de très grande taille comme les ULCC. Ces navires peuvent transporter entre 300.000 et 500.000 tonnes de marchandises, soit deux fois la limite autorisée sur le canal. Aujourd’hui même, l’essentiel des tankers doivent se trouver en sous-capacité pour pouvoir traverser cette voie maritime. Cela a entraîné un détournement progressif d’une partie du commerce pétrolier vers la route du cap de Bonne-Espérance.
….Mais une artère qui restera indispensable dans les années à venir
En dépit de cette baisse du trafic pétrolier, le canal restera une route fondamentale pour les flux Est-Ouest. Comme l’a montré l’incident du Ever Given, il existe en effet peu d’alternatives au canal. La route du Sud rallonge ainsi considérablement la durée du trajet et donc les coûts pour les transporteurs. De plus, tout retard de livraison impacte l’ensemble de la chaîne de valeur créant des difficultés d’approvisionnement.
La route maritime du Nord de l’arctique reliant l’Europe à l’Asie semble quant à elle un projet encore très lointain. Certes, des cargos GNL passent par cette route en été pour fournir leurs clients asiatiques. Néanmoins, la route reste difficilement utilisable pendant l’hiver et les infrastructures portuaires sont encore embryonnaires dans la région.
Le canal de Suez restera ainsi la voie de passage principale des flux pétro-gaziers maritimes entre l’Asie et l’Europe. L’absence d’alternatives immédiates et l’augmentation du commerce entre les deux régions vont même accroître l’importance du canal. L’incident du Ever Given nous montre en tout cas la dépendance du commerce énergétique à ces points de passage internationaux.