L’accession de Justin Trudeau au poste de Premier ministre a suscité un grand espoir pour faire du Canada une référence mondiale en matière de lutte contre le réchauffement climatique. La signature rapide de l’Accord de Paris a marqué un tournant, traduisant la volonté d’inscrire la réduction des gaz à effet de serre (GES) au sommet de l’agenda fédéral. Les premières années ont vu émerger diverses mesures, dont l’objectif déclaré était de diminuer la dépendance aux énergies fossiles et de stimuler la croissance des renouvelables. Toutefois, l’hétérogénéité du territoire et les réalités économiques ont révélé des fractures régionales, en particulier entre l’Ouest pétrolier et l’Est davantage porté par l’hydroélectricité.
Politiques climatiques : la taxe carbone et l’investissement massif
L’initiative la plus marquante du gouvernement Trudeau demeure la taxe carbone, introduite en 2018 à 20 CAD/tonne et progressivement relevée pour atteindre 80 CAD/tonne en 2024. Cette hausse s’est traduite par un impact direct sur le prix des carburants, avec environ trois cents de plus par litre au cours de la dernière année. Selon diverses estimations, les recettes annuelles de 2024 pourraient atteindre 8,3 milliards CAD, réinjectés dans des programmes de modernisation énergétique et de compensation aux ménages. Malgré la volonté de réduire les émissions, les chiffres officiels montrent une baisse modeste sur la période. Les émissions sont passées de 738 Mt CO2e en 2015 à 730 Mt CO2e en 2019, soit une réduction de seulement 1 %. Les experts soulignent qu’atteindre l’objectif de 511 Mt CO2e pour 2030 exigerait une réduction d’environ 5 % par an, un rythme plus ambitieux que les tendances actuelles ne le laissent présager. Dans le même temps, le gouvernement a déployé un Fonds pour une économie à faibles émissions doté de 15 milliards CAD, ainsi qu’un Plan climatique renforcé estimé à 53 milliards CAD.
Transition énergétique : du charbon aux renouvelables en passant par l’hydrogène
La volonté de verdir le mix énergétique national s’est notamment traduite par la sortie accélérée du charbon, dont la part dans la production d’électricité a été réduite de 10 % en 2015 à pratiquement 0 % en 2024. L’Alberta, province historiquement tournée vers les ressources fossiles, a fermé ses dernières centrales au charbon plusieurs années avant l’échéance fédérale fixée à 2030. En parallèle, la capacité installée d’énergies éoliennes et solaires a doublé entre 2015 et 2024, pour atteindre 22 GW. L’hydrogène figure également au centre de cette stratégie. Le Canada s’est fixé pour ambition de capter 10 % du marché mondial d’hydrogène propre d’ici 2030. Le gouvernement a ainsi investi dans des infrastructures de production, cherchant à stimuler l’innovation technologique. Les défenseurs de cette filière estiment que l’hydrogène pourrait soutenir la décarbonation de secteurs difficiles à électrifier, tandis que certains acteurs soulignent les défis financiers et logistiques liés à son transport et à son stockage.
Tensions internes : contrastes provinciaux et mécontentement des ménages
L’adoption de politiques climatiques ambitieuses a révélé d’importantes divisions. Les provinces fossiles, à l’image de l’Alberta, ont vu le prix moyen de l’électricité varier fortement : il se situait autour de 46 CAD/MWh en 2015, a atteint un pic de 162 CAD/MWh en 2022, puis est redescendu à 63 CAD/MWh en 2024 grâce à une transition vers le gaz naturel et un contexte de marché plus favorable. De l’autre côté, des provinces comme le Québec bénéficient d’un mix très largement hydraulique, avec un coût moyen de 8 CAD/kWh et un faible recours aux énergies émissives. Sur le plan social, le renchérissement du coût de l’énergie continue d’alimenter les critiques. Le recours à la taxe carbone aurait ajouté environ 240 CAD par an aux factures moyennes des ménages. Selon certains sondages, 60 % des citoyens considèrent que les politiques climatiques fédérales affectent négativement leur pouvoir d’achat. Des tensions politiques ont également surgi, puisque 45 % des provinces affichaient encore en 2024 des plans climatiques jugés non conformes aux objectifs nationaux. La disparité des réalités économiques régionales rend difficile l’application uniforme des mesures.
Sondages en faveur des conservateurs et perspectives d’avenir
La lassitude d’une partie de l’opinion face à la hausse des coûts énergétiques se reflète dans les sondages. Selon une enquête d’Abacus Data réalisée en novembre 2024, le Parti conservateur obtiendrait 41 % des intentions de vote, contre 22 % pour le Parti libéral. Dans l’Ouest canadien, Pierre Poilievre recueille près de 60 % des soutiens, signe d’un fort rejet de la fiscalité carbone et d’une volonté d’alléger les contraintes imposées aux industries locales. Le départ annoncé de Justin Trudeau ouvre ainsi la voie à un éventuel virage conservateur, qui pourrait se traduire par un allégement de la taxe carbone et un ajustement des ambitions pour 2030. Les responsables libéraux estiment de leur côté que la transition engagée reste un investissement indispensable pour l’avenir énergétique du Canada, soulignant que le doublement de la capacité renouvelable à 22 GW illustre l’élan déjà enclenché. Les défis pour le prochain gouvernement demeurent cependant colossaux : il faudra concilier la compétitivité économique, la protection du pouvoir d’achat et la poursuite d’objectifs de décarbonation ambitieux.
Au final, la décennie de Justin Trudeau se solde par un changement palpable dans le mix énergétique, même si nombre de provinces restent partagées sur les moyens de conjuguer croissance et réduction des émissions de GES. Les professionnels du secteur de l’énergie suivent de près l’issue d’élections imminentes qui pourraient bouleverser la feuille de route climatique et reconfigurer les mécanismes de soutien à l’innovation. Entre neutralité carbone visée et inquiétudes sur l’inflation énergétique, le Canada se trouve à un moment clé où se dessinent les contours de sa politique environnementale future.