Le barrage sur le Brahmapoutre (ou fleuve Yarlung Tsangpo), prévu dans le nouveau plan quinquennal de la Chine pour 2021-2025, va permettre au pays de développer son énergie hydraulique. En revanche, il risque de dégrader gravement les relations entre la Chine et l’Inde. Ce dernier regrettant que le premier ne contrôle la ressource en eau indispensable, notamment pour l’agriculture en Inde, mais aussi et surtout au Bangladesh.
Le barrage sur le Brahmapoutre prévu par la Chine sera le plus efficace du monde
Le barrage sur le Brahmapoutre niché dans les contreforts de l’Himalaya est prévu par le nouveau plan quinquennal chinois pour 2021-2025 dévoilé le vendredi 5 mars 2021. Ce nouveau méga-barrage produira alors 60 GW, soit trois fois plus que le barrage actuellement le plus efficace du monde. Celui des Trois Gorges situé dans la région du Hubei dans le centre-est de la Chine.
Le plan chinois doit encore être officialisé le jeudi 11 mars prochain, mais il ne devrait pas connaître de modifications. La société publique Powerchina avait déjà signé en novembre dernier un accord avec le gouvernement du Tibet pour mettre en œuvre l’exploitation. Selon Che Dalha, le président de la région autonome, les travaux devraient commencer d’ici un an.
Un emplacement idéal pour une centrale hydroélectrique
Puisant sa source dans les glaciers tibétains, le Brahmapoutre est le fleuve le plus haut du monde. Il plonge de 2700 mètres à travers ce qu’on appelle le Yarlung Tsangpo Grand Canyon. Cette descente abrupte est un site idéal pour la production d’énergie hydroélectrique.
La faible densité de la population dans la région rend également la zone propice à la création d’un barrage. Selon le Global Times, proche de Pékin, le barrage sur le Brahmapoutre sera construit dans le comté de Medog qui compte 14.000 habitants. À titre de comparaison, la construction du barrage des Trois Gorges avait nécessité le déplacement de 1,4 million de personnes.
Neutralité carbone de la Chine d’ici 2060
Selon le président de Power Construction Corp of China, Yan Zhiyong, le barrage sera principalement construit pour soutenir la transition énergétique. Il contribuera au développement des énergies renouvelables (EnR) dans un pays qui prévoit d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2060.
Le directeur du programme Asie du Sud-Est au Stimson Center, Brian Eyler, explique que la Chine a pourtant déjà un excès d’énergie. Ces nouvelles capacités seront alors utilisées pour couvrir les pertes lors de la transition des combustibles fossiles.
Le président de Power Construction, Yan Zhiyong, a déclaré que le barrage sur le Brahmapoutre servira également à maintenir les ressources en eau et la sécurité nationale du pays.
Un barrage sur le Brahmapoutre qui cristallise les tensions avec l’Inde et le Bangladesh
Le projet de barrage chinois est d’ores et déjà vivement critiqué par l’Inde et le Bangladesh. Ces pays voient dans ce nouveau barrage une menace de la Chine sur leurs ressources en eau.
En ce sens, après avoir quitté la Chine, le Yarlung Tsangpo descend alimenter le nord-est de l’Inde et au Bangladesh. Avec ce méga-barrage situé à seulement 30 kilomètres de la frontière sino-indienne, la Chine aura le contrôle sur le débit du fleuve coté indien et bangladais. Par conséquent, les autorités de ces pays craignent de voir la Chine utiliser l’eau comme un outil de négociation politique.
En ce sens, le fleuve et ses affluents représentent plus de 30% des ressources en eau de l’Inde, et 94% de celles du Bangladesh. 625 millions de personnes vivent dans son bassin, dont 80% sont des agriculteurs ayant grandement besoin d’eau pour leurs exploitations. La rivière joue également un rôle extrêmement important pour le transport des personnes et des matériaux.
L’Inde inquiète prévoit un barrage de 10 GW
L’Inde est particulièrement inquiète de cette nouvelle dépendance vis-à-vis de la Chine. En réponse, le ministère indien de l’eau a déclaré que son pays construira un barrage 10 GW sur un des affluant d’un fleuve. Ce barrage devrait augmenter la capacité de stockage d’eau du pays afin de limiter l’impact du projet chinois.
Rappelons que les relations entre les deux pays sont au plus bas à cause de leurs rivalités territoriales. L’an dernier des affrontements ont lieu aux frontières causant la mort 20 soldats indiens et d’un nombre indéterminé de soldats chinois. La Chine sera par la suite soupçonnée d’avoir commandité en représailles le piratage du réseau électrique indien, causant une panne géante d’électricité à Mumbai.
Les appels à une meilleure gouvernance de la ressource se multiplient
Craignant un envenimement de la situation, les États-Unis tente d’inciter au partage raisonnable de la ressource. La loi sur la politique et le soutien au Tibet, récemment promulguée par le Congrès, vise en ce sens à promouvoir « un cadre régional sur la sécurité de l’eau […] pour faciliter les accords de coopération entre toutes les nations riveraines […] sur le plateau tibétain. »
Mais l’instauration de la confiance mutuelle nécessaire à une coopération entre la Chine et l’Inde est loin d’être accomplie. D’autant plus sur les enjeux les plus stratégiques tels que celui de la ressource en eau par exemple. Remarquons d’ailleurs que la Convention internationale sur les cours d’eau de 1997, prévoyant certains droits et devoirs en ce qui concerne les flux transfrontières, n’a été signée ni par le Bangladesh, l’Inde ou la Chine.
La Chine a tenté de dissiper ces inquiétudes. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying, a déclaré :
« La Chine continuera à maintenir la communication avec l’Inde et le Bangladesh par les canaux existants. Il n’est pas nécessaire que le monde extérieur le surinterprète. »
Des dégâts environnementaux inévitables
Quand bien même la Chine s’abstiendrait d’instrumentaliser le débit du fleuve, les environnementalistes signalent que le barrage déréglera fortement l’écosystème régional. Le bassin du Brahmapoutre est en effet l’une des zones les plus sensibles du monde. La vie marine et notamment les poissons sont particulièrement menacés.
Le barrage risque également de provoquer l’effondrement des berges du fleuve, d’amplifier les phénomènes de crue et de sécheresse. En Asie du Sud-Est, on reproche aux barrages construits par la Chine sur le Mékong d’avoir aggravé la sécheresse dans les pays en aval. La Chine a jusqu’à présent démenti ces accusations.