L’Irak a mis en place une série de mécanismes visant à préserver la continuité de ses exportations pétrolières tout en respectant formellement les régimes de sanctions occidentaux. Depuis l’inscription de Lukoil et Rosneft sur la liste SDN (Specially Designated Nationals) par le gouvernement américain, Bagdad a interrompu les paiements vers les entités russes tout en reprenant à sa charge certaines fonctions locales sur les sites pétroliers concernés, notamment à West Qurna-2.
Maintien de la production sur West Qurna-2
Lukoil, opérateur majoritaire de West Qurna-2 avec une participation de 75 %, a invoqué la force majeure à la suite du blocage de ses flux financiers internationaux. En réponse, l’État irakien a pris le relais en finançant directement les salaires des 1 300 employés irakiens du site, en dinars, tout en suspendant les versements vers la Russie. La production a ainsi pu être maintenue entre 460 et 480 kb/j, représentant environ 9 % de la production nationale.
Cette dissociation entre la ressource et l’entité sanctionnée permet de limiter le risque de violation des sanctions pour les partenaires bancaires et industriels irakiens. Lukoil a indiqué son intention de céder ses actifs internationaux, profitant des licences générales OFAC (Office of Foreign Assets Control) pour organiser sa sortie du projet.
Trocs énergétiques avec l’Iran
En parallèle, Bagdad gère ses importations de gaz et d’électricité iraniens par un système de trocs avec du brut irakien, évitant ainsi l’usage du dollar. Les fonds dus à l’Iran sont placés en dinars sur des comptes dans des banques publiques irakiennes, restreignant l’exposition directe aux sanctions secondaires. Ce schéma, en place depuis 2023, permet de régler une dette énergétique estimée à 11 Mds $ tout en préservant l’approvisionnement nécessaire à la stabilité du réseau électrique irakien.
La Trade Bank of Iraq, principal établissement public impliqué, agit comme intermédiaire dans ces transactions en dehors du système bancaire international, réduisant les risques de blocage par les correspondants américains.
Garantie publique et continuité opérationnelle
Sur les autres grands champs pétroliers du Sud, comme Rumaila ou Zubair, les autorités irakiennes ont historiquement ajusté les contrats de service technique pour s’adapter aux contraintes budgétaires et éviter les interruptions de production. Cette logique se prolonge avec le cas Lukoil, où Bagdad endosse le rôle d’assureur de dernier ressort pour éviter un effondrement de la production.
Les acteurs institutionnels, notamment SOMO (State Oil Marketing Organization), jouent un rôle central pour coordonner les flux physiques et financiers, tout en veillant à ne pas franchir les lignes rouges des régimes de sanctions.
Enjeux bancaires et géopolitiques
La mise en œuvre de ces dispositifs techniques implique une vigilance accrue pour les banques opérant avec l’Irak, contraintes de renforcer leur due diligence sur les flux associés aux actifs potentiellement liés à des entités sanctionnées. La complexité du système irakien, entre paiements domestiques, trocs et suspensions ciblées, rend les chaînes de conformité plus coûteuses pour les institutions financières.
Sur le plan géopolitique, l’Irak se positionne en tampon entre les intérêts de Washington, Moscou et Téhéran. Cette posture augmente sa valeur stratégique mais expose également Bagdad à des pressions accrues si l’un des régimes de sanctions venait à se durcir ou à restreindre davantage les fenêtres de dérogation.