Impossible d’allumer le chauffage, de faire à manger ou de charger son téléphone. Les Sud-Africains passent leurs soirées d’hiver dans une obscurité d’un autre âge, en raison des coupures de courant qui les accablent ces dernières semaines. Et ce n’est pas près de s’arranger.
“Il n’y a pas de vie sans électricité”, souffle Rebecca Bheki-Mogotho, employée administrative. “On se croirait revenus au temps de l’apartheid, entre bougies et poêles à paraffine”, peste cette quinquagénaire chic, cheveux gris en chignon, croisée dans une rue de Johannesburg.
Beaucoup, comme elle, comparent les privations d’électricité récentes, plusieurs fois par jour et plusieurs heures chaque fois, au régime honni sous lequel la très grande majorité noire du pays n’avait pas accès aux services de base.
Les délestages se sont intensifiés fin juin en raison de grèves qui ont entravé le fonctionnement et l’entretien des centrales. Si ce sont les plus drastiques depuis fin 2019, le phénomène n’est pas nouveau et les experts en énergie recommandent la patience. “On en est là parce que nous n’avons pas fait ce qu’il fallait ces cinq à dix dernières années”, affirme à l’AFP l’expert énergétique Clyde Mallinson.
Première économie du continent, l’Afrique du Sud dépend du charbon pour produire plus de 80% de son électricité. La plupart des centrales sont vieillissantes, nécessitent des réparations régulières et sont censées être mises hors service dans les décennies à venir. “Nous sommes coincés dans une situation où nous essayons désespérément de colmater ce qui est cassé plutôt que de prendre les devants”, résume M. Mallison.
Le conflit salarial à l’origine de la crise actuelle s’est conclu mardi par un accord sur des augmentations de salaires. La compagnie nationale Eskom, lourdement endettée, a reconnu qu’elle aurait “du mal à assumer” ce surcoût et qu’il faudrait “encore un certain temps” pour que le système se rétablisse.
Après des années de mauvaise gestion et de corruption, Eskom est incapable de produire suffisamment d’énergie pour subvenir aux besoins du pays. Elle est largement citée dans un rapport sur la corruption d’Etat publié cette année.
Même le charbon rêve de renouvelable
Pour combler le grave déficit d’approvisionnement, Eskom s’appuie sur des turbines à gaz de secours qui brûlent 14 litres de diesel par seconde, soit 50.400 litres par heure. Sept de ces turbines étaient en service vendredi.
Le coût du diesel flambe. Le PDG d’Eskom, Andre de Ruyter, a reconnu avoir dépensé l’équivalent de 90,4 millions d’euros (93,8 millions de dollars) pour le seul mois de juin, soit plus du double de son budget initial. Eskom a aussi déjà dépensé plus du double de son budget annuel pour le diesel en ce milieu d’année. Et ça ne suffit toujours pas à éviter les pannes qui désorganisent la vie des gens et des entreprises.
En avril, la compagnie publique avait prévenu qu’il fallait se préparer à vivre jusqu’à 101 jours de pannes d’électricité.
Selon M. Mallison, spécialiste du renouvelable, au moins 10.000 MW d’énergie éolienne et solaire devraient être disponibles aujourd’hui, selon des plans gouvernementaux établis en 2015 pour répondre à la demande. Une stratégie de construction intensive pour rattraper ce retard dans les deux prochaines années permettrait de résoudre le problème: “Il faut construire vite, comme si nos vies en dépendaient”, insiste l’expert.
Le secteur minier, épine dorsale de l’économie sud-africaine, a lui-même commencé à investir dans les énergies renouvelables, dit à l’AFP son économiste en chef Henk Langenhoven. “Face aux problèmes croissants d’approvisionnement d’Eskom, et alors que les déficits se creusent, la pression s’intensifie pour évoluer en ce sens”.
De hauts responsables d’Eskom, jusqu’à son PDG, n’hésitent plus à appeler régulièrement au développement rapide de nouvelles sources d’énergie. Mais le ministre de l’Energie, Gwede Mantashe, a répété en février que le charbon resterait “le pilier” de son offre énergétique et que cela ne changerait pas de sitôt. Alors même que son pays a obtenu en novembre, à la COP26 de Glasgow, 7,7 milliards d’euros de prêts et subventions pour financer une transition énergétique.
La demande d’électricité pourrait tripler d’ici à 2040, quand transports et autres industries passeront à l’électrique, souligne M. Mallison. Sans investissements rapides, les délestages resteront une constante.