Un accord Chine / Iran d’investissement contre hydrocarbures vient d’être signé par les ministres respectifs des Affaires Étrangères. Le texte prévoirait ainsi 400 milliards US$ d’investissements chinois en Iran en échange d’hydrocarbures vendus au rabais par l’Iran. La Chine, plus grand partenaire commercial de l’Iran consolide ainsi sa position.
Et ce, en toute impunité face aux sanctions américaines contre le commerce avec l’Iran. En outre, cet accord fragilise la position des Américains au Moyen-Orient. Contraignant ainsi le pays à modifier sa stratégie anti-chinoise initialement concentrée dans la zone Pacifique.
Zoom sur un évènement qui pourrait redessiner la géopolitique du Moyen-Orient, voire du monde.
Un accord Chine / Iran d’investissement contre hydrocarbures
L’Iran et la Chine ont conclu le 27 mars un vaste pacte de coopération commerciale et sécuritaire. Le texte de l’accord signé par les ministres des Affaires étrangères des deux pays n’a pas été publié. Les experts affirment néanmoins qu’il est en grande partie inchangé par rapport à un projet divulgué l’an dernier par le NY Times. Également qu’il devrait s’établir pour au moins 25 ans.
La Chine aurait ainsi promis une aide technique et des investissements dans le secteur énergétique iranien. L’accord prévoirait plus généralement une coopération élargie dans les domaines des infrastructures, de la banque, des finances et des assurances. En tout, ce ne serait pas moins de 400 millards USD$ que la Chine dépenserait en Iran d’ici à 2045.
Contre accès prioritaire aux ressources pétro-gazières
En contrepartie, la Chine se verrait garantir un accès prioritaire aux ressources pétrolières et gazières du pays. Pékin pourra également bénéficier d’un rabais estimé à 12 % sur le prix des hydrocarbures. L’accord prévoirait enfin un approfondissement de la coopération militaire. Notamment dans la formation et les exercices conjoints, la recherche et le partage du renseignement.
Consolider l’alliance économique et énergétique Chine / Iran
Les deux pays sous sanctions américaines consacre une alliance qui s’est construite face à un adversaire commun. Pékin est en effet devenu le plus grand partenaire commercial de Téhéran, avec un commerce bilatéral totalisant 18 milliards USD$ en 2020. La Chine a ainsi pris la place des européens. Ces derniers ne commerçant plus avec l’Iran depuis le retour des sanctions américaines.
A contrario, la Chine a continué a exporté ses produits vers l’Iran et a maintenu un certain niveau d’importations de pétrole. Mieux encore, ces échanges se sont intensifiés, notamment depuis l’élection de Joe Biden à la présidence américaine.
La Chine importe ainsi 406.000 b/j en février, plus de 650.000 b/j en mars. La plupart indirectement, le pétrole transitant par Oman, les Émirats Arabes Unis ou la Malaisie. Des projections annoncent que la Chine devrait importer plus d’1 million b/j en avril.
Concrétiser le chantier gazier South Pars
Cette relation et cet accord Chine / Iran permet aussi au pays du golfe Persique d’avancer son chantier gazier South Pars. Celui-ci devant être livré cette année, en 2021.
Là encore, Pékin devance l’Europe, s’octroyant un accès privilégié à une ressource stratégique pour les deux puissances. L’Iran dispose en effet des secondes réserves mondiales de gaz et sa production augmente de mois en mois, atteignant 2,14 millions de b/j en février.
Faire front commun contre les sanctions Américaines
L’accord servira à contrer les mesures américaines tout en leur donnant du poids dans leurs négociations avec les États-Unis. Le ministre chinois des Affaires Étrangères a ainsi appelé les États-Unis à lever les sanctions contre l’Iran. Ainsi qu’à « supprimer son long bras de mesures juridictionnelles qui visaient la Chine, entre autres. » Son homologue iranien, M. Zarif, a décrit en retour la Chine comme un « ami pour des moments difficiles ».
Les États-Unis se sont retirés de l’accord sur le nucléaire en 2018 sous la Présidence de Donald Trump. Récemment, le Président américain nouvellement élu Joe Biden a cherché à relancer les pourparlers avec l’Iran concernant le JCPOA. Mais les discussions piétinent. Les États-Unis exigeant la fin de l’enrichissement d’uranium au-delà de ce qui est convenu dans le JCPOA, là où l’Iran demande d’abord la fin des sanctions.
Il faudra attendre pour le soulèvement populaire en Iran
L’accord sino-iranien donne à voir à Joe Biden que Téhéran a des ressources pour faire face aux sanctions de son pays. Il montre aussi que le temps ne joue pas en faveur des Américains, lesquels espéraient que le désespoir économique ne pousse la population Iranienne à se soulever contre le régime islamique.
Cela n’a pas été le cas. Pire, l’Iran a même profité du temps laissé pour préparer sa riposte.
D’un autre côté, Joe Biden semble déterminé à poursuivre une position anti-chinoise dure. Là encore, l’accord de coopération montre aux États-Unis que la Chine a des moyens autres qu’économiques pour les déstabiliser. L’accord Chine / Iran fait ainsi entrer la confrontation sino-américaine dans une nouvelle dimension, celle du Moyen-Orient.
Objectif pour la Chine : s’implanter durablement au Moyen-Orient
Pour la Chine, l’accord avec l’Iran représente une porte d’entrée à la table des affaires d’une région contrôlant 20% du pétrole mondiale. Il s’inscrit dans la stratégie des « Nouvelles routes de la soie ». Permettant à Pékin de concurrencer Washington dans la région. C’est d’autant plus le cas que les États-Unis y réduisent leur présence militaire en dépit de leur partenariat stratégique avec les États arabes du golfe.
De plus, contrairement à la projection de puissance militaire américaine et russe dans la région, la Chine tire un profit économique de son influence douce. En effet, la Chine gagnera de l’accord de coopération au moins autant que ce qu’elle dépense en investissements en Iran.
Premièrement, la Chine obtiendra des rabais sur le pétrole Iranien. Deuxièmement, elle pourra mettre en place une stratégie de peur. En ce sens que les rabais devront s’étendre aux autres pays du golfe si ceux-ci souhaitent anticiper et freiner une coopération Chine / Iran qui pourrait s’accomplir dans une autre dimension, c’est-à-dire sur un plan militaire.
Téhéran en position de faiblesse ?
Une dernière question à se poser est de savoir si l’accord servira réellement les intérêts iraniens. La signature de Téhéran est en effet essentiellement motivée par la pression économique exercée par les États-Unis, aggravée par la Covid-19. Pour les Iraniens, il s’agit donc d’une aide économique critique et à long terme qui arrive à une période particulièrement difficile.
Nombreux sont donc ceux qui estiment que la relation irano-chinoise au sein de l’accord de coopération est déséquilibrée. L’an dernier, des Iraniens ont protesté quand des rumeurs ont affirmé que la Chine s’approprierait des territoires entiers de l’Iran. Les manifestants avaient exhorté le président Rohani à ne pas « vendre leur pays » à la Chine.