Les États-Unis ont officiellement demandé à la Commission européenne une exemption aux exigences de la régulation (UE) 2024/1787 sur les émissions de méthane dans le secteur de l’énergie. Cette demande vise une suspension de l’application aux exportations américaines de gaz naturel liquéfié (LNG) jusqu’en 2035, période qui couvrirait l’ensemble du calendrier de mise en œuvre des nouvelles obligations pour les importateurs.
La réglementation européenne introduit des étapes progressives de conformité. Dès mai 2025, les importateurs devront fournir des informations qualitatives sur l’origine des hydrocarbures et les méthodes de mesure et de réduction appliquées. En janvier 2027, une obligation d’équivalence en matière de surveillance, de déclaration et de vérification (MRV) s’appliquera. En août 2028, un reporting quantitatif de l’intensité méthane sera exigé, suivi en août 2030 d’un seuil obligatoire pour les nouveaux contrats d’importation.
Une position géopolitique renforcée par la dépendance énergétique de l’UE
Le contexte énergétique européen a considérablement évolué depuis la guerre en Ukraine. L’Union européenne s’est engagée à éliminer les importations de gaz naturel russe d’ici la fin de 2027, selon la feuille de route REPowerEU. En parallèle, les États-Unis sont devenus le principal fournisseur de LNG du continent, représentant environ 58 % des volumes importés.
La demande américaine repose en grande partie sur cette position stratégique. Le Département de l’énergie considère la régulation européenne comme une barrière non tarifaire aux échanges commerciaux et cherche à garantir un accès stable au marché européen. Cette démarche intervient alors que les importateurs européens sont engagés dans des contrats à long terme avec des fournisseurs américains.
Des obstacles techniques liés au modèle d’exportation américain
Le gaz exporté depuis les terminaux américains est généralement mélangé à partir de plusieurs champs et opérateurs. Cette pratique, dite “commingled”, rend difficile l’attribution d’un profil d’émissions spécifique à une cargaison. Or, les exigences européennes s’appuient sur une traçabilité à l’échelle du producteur ou du pays pour reconnaître une équivalence MRV.
Face à ces limites, la Commission a ouvert des voies de conformité alternatives, notamment la certification par des tiers et des dispositifs de type “trace and claim”. Ces mécanismes permettraient aux exportateurs de démontrer indirectement le respect des seuils d’émissions, sans imposer une séparation physique des molécules dans la chaîne logistique.
Impacts contractuels et marché émergent de la conformité
L’introduction d’un cadre réglementaire structurant pourrait affecter la dynamique des contrats de fourniture à long terme. Les importateurs européens commencent à inclure des clauses spécifiques sur la conformité méthane, notamment des garanties d’audit, des mécanismes de réouverture de prix, ou des droits de résiliation anticipée.
Par ailleurs, les acteurs du marché anticipent l’émergence d’un secteur secondaire autour de la certification des émissions. Des standards comme OGMP 2.0 (Oil and Gas Methane Partnership) ou les labels MiQ sont de plus en plus utilisés comme références dans les négociations contractuelles, en l’absence d’un système global harmonisé.
Risques juridiques pour l’Union et incertitude réglementaire côté américain
L’octroi d’une exemption ciblée aux États-Unis constituerait une entorse au principe de non-discrimination entre fournisseurs, exposant l’Union européenne à des recours ou des pressions similaires de la part d’autres pays exportateurs. Plusieurs États membres s’inquiètent d’un affaiblissement du signal réglementaire adressé au marché et aux investisseurs.
De leur côté, les États-Unis ne disposent pas encore d’un cadre MRV fédéral stabilisé à long terme. Les initiatives comme le Methane Emissions Reduction Program de l’Environmental Protection Agency, ou les crédits liés à l’Inflation Reduction Act, restent sujettes à évolutions politiques. Cette instabilité complique la reconnaissance d’une équivalence réglementaire robuste par la Commission européenne.