Le groupe anglo-néerlandais Shell a lancé un processus de dissolution de sa coentreprise avec Rosneft au sein du Caspian Pipeline Consortium (CPC), une infrastructure clé reliant les gisements pétroliers kazakhs à la mer Noire. Cette manœuvre vise à isoler juridiquement sa participation d’environ 3,7 % dans le CPC, afin d’éviter les répercussions des sanctions occidentales imposées au groupe pétrolier russe.
Un décret présidentiel pour faciliter la transaction
La décision de Shell s’appuie sur un décret signé par le président russe Vladimir Poutine le 8 décembre. Ce texte autorise explicitement la réorganisation de la structure capitalistique du bloc de 7,5 % que Rosneft et Shell détiennent conjointement via Rosneft-Shell Caspian Ventures. Cette exemption présidentielle contourne le régime habituel de contrôle des mouvements de capitaux avec les entités issues de pays dits « inamicaux », en vigueur depuis 2022.
La coentreprise était devenue juridiquement vulnérable après l’inscription de Rosneft sur la liste des entités sanctionnées par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) des États-Unis en octobre. Cette désignation entraîne un blocage automatique des flux financiers et une exposition accrue aux sanctions secondaires pour tout partenaire encore lié contractuellement ou capitalistiquement à Rosneft.
Un corridor stratégique pour le brut kazakh
Le CPC transporte quotidiennement entre 1,2 et 1,4 mn de barils de pétrole, représentant jusqu’à 80 % des exportations du Kazakhstan et environ 1 % de l’approvisionnement mondial. La majorité du brut provient des champs de Tengiz, Kashagan et Karachaganak, opérés par des consortiums internationaux impliquant également Shell, Chevron, ExxonMobil et Eni.
La sécurisation de la participation de Shell dans ce consortium est donc stratégique, à la fois pour la continuité des exportations kazakhes vers les marchés européens et pour éviter un durcissement réglementaire qui pourrait affecter les flux logistiques ou financiers. L’opération vise à éviter tout scénario de blocage bancaire ou d’inaccessibilité aux assurances et services associés au transit de pétrole.
Rééquilibrage progressif de la gouvernance du CPC
En sortant Rosneft du montage actionnarial sans affecter sa propre part, Shell s’aligne également sur les attentes d’Astana, qui cherche à maintenir une neutralité diplomatique et énergétique tout en réduisant sa dépendance à la Russie. Les attaques de drones sur les terminaux de Novorossiïsk cette année ont rappelé la vulnérabilité de cette infrastructure critique et renforcé l’intérêt du Kazakhstan pour diversifier ses routes d’exportation.
Le décret présidentiel pourrait constituer un précédent pour d’autres entreprises occidentales confrontées à des situations similaires dans des actifs mixtes sous influence russe. Il ouvre la voie à une redéfinition plus large de la gouvernance du CPC, où les partenaires kazakhs ou non sanctionnés pourraient gagner en influence au détriment d’acteurs soumis à des restrictions internationales.