La Commission européenne a formellement adopté une liste actualisée de 235 projets d’infrastructure énergétique transfrontalière, sous les labels Projects of Common Interest (PCI) et Projects of Mutual Interest (PMI). Cette nouvelle sélection ouvre un accès prioritaire au Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (Connecting Europe Facility – CEF) et fixe les axes structurants du réseau énergétique de l’Union jusqu’en 2040.
Électricité, hydrogène et CO₂ en priorité
La liste comprend 113 projets relevant du secteur électricité, incluant hubs offshore et réseaux intelligents, 100 projets hydrogène intégrant infrastructures de transport, électrolyseurs et stockage, ainsi que 17 projets liés au transport et à la séquestration de CO₂. Deux anciens projets gaziers concernant Malte et Chypre sont également conservés. Ces infrastructures, considérées comme stratégiques, sont estimées à un coût total approchant les 1,5 billion d’euros sur la période 2024-2040.
Le statut PCI ou PMI est désormais indispensable pour accéder aux appels d’offres CEF-Energy à partir de 2026. Ce label permet un cofinancement européen pouvant atteindre 50 % des dépenses admissibles, en plus d’un traitement administratif harmonisé incluant un guichet unique et un délai maximal de 3,5 ans pour l’instruction des permis.
Extension des corridors et logique extraterritoriale
Les Projects of Mutual Interest, qui impliquent au moins un pays tiers, visent notamment des corridors vers l’Algérie, le Caucase et l’Est méditerranéen. Le projet Black Sea Energy, reliant l’Azerbaïdjan à la Roumanie via la Géorgie et la mer Noire, en fait partie. Il s’ajoute au corridor hydrogène SoutH2 entre l’Algérie, l’Italie, l’Autriche et l’Allemagne, et au gazoduc EastMed depuis Israël vers la Grèce. Ces infrastructures redéfinissent les axes d’approvisionnement de l’UE tout en réduisant l’exposition aux importations russes.
Le nouveau cadre juridique repose sur le règlement (UE) 2022/869, qui exclut les nouveaux projets d’hydrocarbures, sauf ceux reconvertibles vers des usages hydrogène. Cette orientation permet de mutualiser les coûts au sein des régulateurs nationaux tout en intégrant les infrastructures dans les bases d’actifs régulés (RAB), facteur clé pour les opérateurs de réseaux.
Un pari structurant mais à haut risque sur l’hydrogène
La sélection de 100 projets liés à l’hydrogène représente une mobilisation de capitaux estimée à environ 80 milliards d’euros, hors coût de production du gaz lui-même. La majorité des projets concerne la transmission (49) et les installations d’électrolyse (21), mais aussi le stockage et les terminaux d’importation. Ce volume soulève des inquiétudes sur la formation d’actifs échoués si la demande industrielle ne se concrétise pas à temps.
Des voix critiques alertent sur les risques d’un « hydrogen-washing », certaines infrastructures étant labellisées « hydrogen-ready » alors qu’elles pourraient continuer à acheminer du gaz fossile. Le faible niveau de maturité du marché, les incertitudes réglementaires et les disparités géographiques entre États membres renforcent les tensions sur la rentabilité de ces investissements.
Marchés de l’énergie, compliance et redéploiement stratégique
À moyen terme, l’intégration régionale des marchés électriques grâce aux interconnexions devrait lisser les écarts de prix de gros, réduire le curtailment et optimiser l’usage des flexibilités réseau. Pour les acteurs industriels, la disponibilité d’un réseau CO₂ labellisé PCI est essentielle afin de sécuriser les volumes injectables dans le cadre de contrats à long terme.
L’architecture PCI/PMI permet également de mieux tracer l’origine des flux énergétiques, une exigence de plus en plus déterminante face aux régimes de sanctions européennes et extraterritoriales. Les corridors Sud, Caucase et Méditerranée gagnent en attractivité juridique et financière, notamment pour les investisseurs institutionnels et opérateurs soumis aux règles de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC).
Impacts pour les entreprises et les États membres
Les gestionnaires de réseaux de transport (TSO) comme Snam, TenneT, Terna ou GRTgaz voient dans cette labellisation une opportunité de croissance régulée via l’extension de leurs périmètres d’actifs. Les développeurs de hubs CO₂ (Prinos Apollo, Callisto) bénéficient, eux, d’une reconnaissance institutionnelle qui facilite la conclusion de contrats commerciaux avec les grands émetteurs.
Certains États membres concentrent les projets les plus structurants, notamment l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Roumanie. À l’inverse, plusieurs pays d’Europe centrale et orientale risquent de demeurer simples zones de transit, à moins de proposer des stratégies ciblées lors des prochains appels PCI.