Le champ d’exploration géothermique Slatina-3, situé au nord-est de la Croatie, a changé de mains à la suite de la faillite de la société Dravacel, anciennement détenue par Cindrigo Geothermal. L’actif a été acquis pour 400 k€ par Jordan Alexander Oxley, investisseur canadien et directeur général de Green Energy Geothermal, filiale du groupe Energy Co-Invest Global Corp.
Contexte du projet et nature de l’actif
Slatina-3 visait le développement d’une centrale géothermique de 20 MW sur un site historiquement utilisé pour l’exploration pétrolière. Des travaux préliminaires ont déjà été réalisés, notamment la construction de l’aire de forage et la signature de contrats d’ingénierie. Malgré cela, l’Agence croate des hydrocarbures (CHA) a révoqué le permis d’exploration à la suite de la liquidation de Dravacel.
La procédure de vente, encadrée par la justice commerciale croate, a fixé un prix de départ à 200 k€, bien en deçà des 4 M€ déjà investis par Cindrigo. Oxley, unique enchérisseur, a proposé une offre doublant le montant initial, confirmant une approche stratégique tournée vers les actifs en difficulté.
Profil de l’acquéreur et stratégie envisagée
Jordan Oxley possède une expérience établie dans les projets d’infrastructures énergétiques, avec un portefeuille incluant 15 centrales modulaires développées au Kenya et en Islande. Le modèle technologique de Green Energy Geothermal repose sur des unités de production préfabriquées et modulaires, conçues pour réduire les délais et les investissements initiaux.
L’acquisition de Slatina-3 en nom propre, et non via une grande entreprise de services publics, laisse penser à une stratégie d’investissement opportuniste, axée sur la restructuration technique et juridique du projet. Cette approche permettrait ensuite une revente partielle ou totale à un acteur industriel ou un fonds d’infrastructure.
Risques réglementaires en Croatie
La Croatie encadre la géothermie par une législation mêlant les lois sur l’électricité et les hydrocarbures, ce qui complexifie le processus d’obtention des permis. L’Association croate des énergies renouvelables a souligné les difficultés administratives et la lourdeur des procédures comme obstacles récurrents à l’avancement des projets.
Cindrigo avait exprimé publiquement ses critiques envers la transparence de la CHA. Le retrait de son projet en Croatie coïncide avec un recentrage sur des actifs allemands, bénéficiant d’un environnement réglementaire jugé plus stable, dans le cadre d’une stratégie d’introduction en Bourse à Londres.
Conséquences économiques et industrielles
La transaction confère à Oxley l’accès à un projet à fort potentiel, mais sans licence active. La rentabilité dépendra de sa capacité à obtenir un nouveau permis d’exploration, à sécuriser un contrat d’achat d’électricité avec l’opérateur HROTE, et à maîtriser les coûts d’accès à la chaîne d’approvisionnement géothermique croate.
La reprise pourrait déboucher sur un projet de type « shovel-ready », revendable une fois la licence rétablie. Pour la filière locale (forage, génie civil, réseaux de chaleur), la relance de Slatina-3 offrirait un surcroît d’activité après l’arrêt de la centrale de Velika Ciglena, elle aussi en faillite.
Effets sur la filière géothermique croate
Les difficultés rencontrées par Dravacel et Velika Ciglena soulèvent des questions sur la capacité du pays à mener à bien des projets géothermiques. Toutefois, la poursuite des appels d’offres par l’État, avec quatre nouvelles zones ouvertes en 2024, indique une volonté de maintenir la dynamique sectorielle.
Le repositionnement de Slatina-3 pourrait passer par une configuration modulaire à faible puissance unitaire (2 à 5 MW), réduisant le besoin de capital initial et adaptant le projet au contexte réglementaire croate. La réussite de cette relance pourrait attirer d’autres investisseurs spécialisés dans les restructurations.
Implications stratégiques pour les acteurs
Pour Cindrigo, la sortie de Slatina-3 allège ses engagements financiers mais met en lumière ses limites dans la gestion des risques réglementaires en Europe du Sud-Est. Pour Oxley et ses partenaires, le succès de cette opération pourrait renforcer leur crédibilité sur le marché européen et attirer des capitaux pour des projets similaires.
Enfin, pour l’Union européenne, l’enjeu est double : sécuriser des capacités de production baseload non-carbonées tout en s’appuyant sur des capitaux privés dans des juridictions à haut risque, ce qui pourrait limiter la capacité de pilotage stratégique communautaire.