Les projets solaires intégrant du stockage en Indonésie, au Viet Nam et aux Philippines atteignent désormais des niveaux de rentabilité interne comparables à ceux exigés par les grands investisseurs en infrastructures. Dans plusieurs cas, notamment en Indonésie, les contrats d’achat d’électricité (Power Purchase Agreements, PPA) structurés avec une composante de stockage offrent des taux de rentabilité interne (Internal Rate of Return, IRR) pouvant atteindre 23 %, contre une moyenne régionale de 12 à 15 %.
Les réformes réglementaires reconfigurent les signaux d’investissement
Cette évolution résulte de réformes visant à rendre les PPA plus longs, plus stables et mieux calibrés pour les développeurs privés. En Indonésie, les nouvelles lignes directrices du ministère de l’Énergie et des Ressources minérales permettent d’allonger la durée des PPA jusqu’à 30 ans, introduisent un mécanisme de partage du risque de change et reconnaissent le droit pour les développeurs de valoriser les crédits carbone générés. Au Viet Nam, le lancement du mécanisme Direct Power Purchase Agreement (DPPA) autorise des ventes directes entre producteurs et grands consommateurs, réduisant la dépendance vis-à-vis de l’électricien public EVN.
Aux Philippines, les autorités ont levé les restrictions sur l’investissement étranger dans les projets renouvelables et publié un cadre opérationnel pour le stockage. Ce cadre inclut la définition des rôles techniques des batteries, leur rémunération via les services auxiliaires et leur intégration aux appels d’offres, consolidant la position des projets hybrides dans la planification énergétique nationale.
Le stockage devient un actif stratégique dans des réseaux contraints
Le rôle du stockage évolue également dans ces marchés. Il est désormais valorisé non seulement pour sa capacité à optimiser la production solaire, mais aussi comme outil de stabilité du réseau dans des contextes fortement dépendants du charbon, comme en Indonésie et aux Philippines. Ember note que dans ces systèmes peu flexibles, les batteries réduisent les appels aux centrales thermiques de pointe, permettant de modérer les subventions aux combustibles fossiles.
Le stockage apporte aussi une réponse aux congestions de réseau et aux curtailments — réductions forcées de production — qui affectent les projets solaires au Viet Nam. Cette capacité à lisser les pics de production et à fournir une électricité plus prévisible devient un critère différenciant dans l’attribution des contrats.
Équilibres économiques sensibles aux paramètres tarifaires
Les analyses de rentabilité réalisées à l’aide de modèles financiers comme le System Advisor Model montrent une forte sensibilité des IRR aux paramètres tarifaires. Une hausse de 10 % du tarif PPA peut faire progresser l’IRR de plusieurs points, compte tenu de la stabilité des coûts et de la production dans le temps. Inversement, une baisse trop marquée des tarifs lors des appels d’offres pourrait rendre non finançables les projets intégrant du stockage, malgré la baisse continue du coût des modules solaires.
Le coût du capital reste élevé dans ces marchés, et les écarts de capex observés sur le terrain — entre 10 et 30 % supérieurs aux standards mondiaux — amplifient cette sensibilité. La baisse des prix des batteries reste conditionnée à la volatilité du marché du lithium et aux contraintes logistiques, ce qui rend les projections prudentes sur l’évolution des coûts globaux.
Concurrence stratégique sur les chaînes de valeur
Ces dynamiques s’inscrivent dans une compétition croissante entre capitaux occidentaux et chinois. Les modules solaires, en majorité importés de Chine, ont vu leurs exportations croître de plus de 70 % en 2025, selon Ember. En réponse, les gouvernements cherchent à attirer les financements institutionnels des États-Unis, de l’Union européenne, du Japon ou de la Corée du Sud, via des PPA plus prévisibles et des mécanismes de garantie adossés à des standards environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
La pression sur la conformité s’intensifie également, notamment au regard des sanctions occidentales visant des acteurs opérant avec la Russie ou l’Iran. Les projets d’infrastructure devront démontrer leur traçabilité et l’absence de liens avec des entités figurant sur les listes de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) ou de l’Union européenne, influençant les choix de partenaires et de fournisseurs.
Perspectives d’intégration régionale et arbitrages des développeurs
L’intégration croissante du stockage est aussi liée à la montée en puissance de l’ASEAN Power Grid, un projet d’interconnexion électrique régionale. Le stockage y joue un rôle de stabilisateur local, en facilitant les échanges transfrontaliers. Les trois pays étudiés pourraient ainsi devenir des plateformes d’exportation d’électricité “propre” vers les pays voisins en déficit d’énergies renouvelables.
Du côté des développeurs et producteurs indépendants d’électricité (Independent Power Producers, IPP), les arbitrages s’intensifient entre modèles “merchant” sans contrat long terme et PPA réglementés intégrant une prime de flexibilité. Les industriels électro-intensifs, notamment dans la fabrication et les data centers, deviennent les acheteurs cibles, en quête d’une électricité verte stable et conforme aux exigences de décarbonation internationales.