Le Département du Trésor des États-Unis a publié la General License 132 autorisant les transactions nécessaires à la réalisation du projet nucléaire Paks II en Hongrie, piloté par l’entreprise publique russe Rosatom. Cette autorisation, prise malgré le régime de sanctions contre la Russie, vise à maintenir la continuité financière du projet tout en réorientant une partie de la chaîne d’approvisionnement vers les États-Unis.
Une exception ciblée à haute portée juridique
La licence s’inscrit dans le cadre de l’Executive Order 14024 et autorise explicitement les transactions interdites dès lors qu’elles sont strictement liées à Paks II. Sont concernées les opérations de financement, les services bancaires et les garanties, y compris celles impliquant des entités russes sous sanctions telles que Gazprombank, VTB et la Banque centrale de Russie. La mesure ne constitue pas une levée des sanctions, mais une dérogation unilatérale et révocable, sans effet juridique sur le régime général.
La General License 132 corrige une exclusion antérieure qui empêchait tout acteur américain d’interagir, même indirectement, avec le projet. Les banques européennes ou américaines impliquées devront isoler les flux liés à Paks II, appliquer un suivi spécifique des bénéficiaires et intégrer des clauses contractuelles précisant l’usage des fonds, afin d’éviter toute exposition aux sanctions secondaires.
Un accord tripartite à composantes politiques
En contrepartie de cette ouverture réglementaire, la Hongrie s’engage à acquérir du combustible et des technologies de stockage auprès de fournisseurs américains. Cette configuration permet aux États-Unis d’intégrer le projet sans en remettre en cause la maîtrise d’œuvre par Rosatom, ce qui préserve les engagements contractuels russo-hongrois tout en introduisant un levier technique américain.
Du côté hongrois, le projet reste sous la supervision du gouvernement et de MVM Paks II Zrt., l’entité de projet. Après l’annulation de l’aide d’État approuvée par la Commission européenne, les financements se réorientent vers des prêts russes et des options bilatérales. Cette dynamique renforce la position de Budapest au sein de l’Union européenne en lui donnant une marge de négociation supplémentaire sur les dossiers énergétiques.
Un modèle hybride sous tension réglementaire
Le projet Paks II combine désormais une technologie de réacteur russe (type VVER) avec des composants critiques américains. Cette hybridation complexifie les procédures de certification et de sûreté, du fait de l’articulation entre normes russes et normes occidentales. Elle implique également des interfaces juridiques multiples, rendant la gouvernance technique et contractuelle plus sensible à tout incident.
Le recours aux fournisseurs américains, dont les noms ne sont pas publiquement confirmés, pourrait bénéficier à des groupes comme Westinghouse ou Holtec. Toutefois, ces contrats dépendent du maintien de la licence américaine, dont le caractère unilatéral laisse à Washington un levier de pression direct sur la suite du projet.
Un précédent géopolitique à implications multiples
Cette décision affaiblit l’argumentaire en faveur de sanctions généralisées contre Rosatom, en montrant qu’un projet piloté par l’entreprise russe peut être rendu acceptable par l’ajout de composants américains. À l’échelle de l’Union européenne, elle introduit une ambiguïté sur la cohérence de la politique énergétique commune, en exposant la divergence entre les capitales favorables au nucléaire et celles partisans d’un isolement complet de la Russie.
Pour la Hongrie, l’arrangement permet de consolider une position bilatérale à double ancrage, entre Moscou et Washington, au prix d’une dépendance simultanée à deux blocs géopolitiques rivaux. Pour Rosatom, la licence offre une reconnaissance implicite de la légitimité de son rôle dans l’Union européenne, même sous régime de sanctions.