Nord Stream 1, l’histoire d’une Turbine retardée

Depuis juin, les flux de gaz acheminés par Nord Stream 1 se réduisent considérablement, ce qui inquiète l'Europe. Entre maintenance à répétition, sanctions occidentales et pression russe, le gazoduc Nord Stream reflète le bras de fer géopolitique entre la Fédération et l'Occident.

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Depuis le début du conflit en février dernier, la livraison de gaz russe par Nord Stream 1 a considérablement baissé. En juin, le gazoduc n’acheminait que 40% de sa capacité maximum.

Fin juillet, après une opération de maintenance, ce chiffre n’était plus que de 20%. En cause, une turbine envoyée au Canada pour réparation, n’a toujours pas été renvoyée en Russie. Cette dernière serait bloquée en Allemagne. De fait, Gazprom accuse Siemens Energy de ne pas avoir fourni les documents nécessaires, permettant le transport de cette turbine.

À l’inverse, Siemens Energy dément les accusations du géant de l’énergie russe. D’autant plus, que l’Allemagne déclarait que l’utilisation de cette turbine devait débuter uniquement en septembre.

L’Union européenne accuse donc Moscou de faire pression sur le marché du gaz. De son côté, la Russie se défend et indique son besoin d’entretenir différentes pièces pour le bon fonctionnement de Nord Stream 1.

Nord Stream 1, un gazoduc vital à l’Europe

Le gazoduc Nord Stream 1 relie la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique grâce à 1.224 km d’installations. Effectif depuis 2012, ce gazoduc constitue une source d’approvisionnement conséquente pour l’Allemagne et l’Europe.

Or, en 2021, les livraisons de gaz russes vers l’Europe transitant par l’Ukraine étaient déjà en baisse. De leurs côtés, les flux de Nord Stream 1 restaient à un niveau habituel, équivalant à 167 millions de m3 par jour. Le débit normal (hors temps de guerre) du pipeline est normalement proche du maximum de ses capacités.

Cependant, le 14 juin dernier, Gazprom annonçait la réduction du débit de Nord Stream 1 à 100 Mm3/j. Le 16 juin, ce chiffre n’était plus que de 67 Mm3/j. Pour cause, la société énergétique russe indiquait des problèmes techniques dans la station de compression de Portovaya.

Une turbine de Portovaya a donc été envoyée au Canada, chez son constructeur Siemens, pour un entretien complet. Cependant, la Russie n’a toujours pas récupéré sa pièce. Le 14 juillet, Gazprom déclarait finalement un cas de force majeure, rétroactif au 14 juin, date du ralentissement des livraisons.

Une turbine qui tarde à revenir en Russie

Alors qu’elle avait été envoyée pour réparation en juin, une turbine Siemens du gazoduc reste bloquée hors de Russie. Les équipes ne pouvaient pas réparer cette pièce sur place. Il a donc fallu envoyer la turbine en Allemagne, puis au Canada, précisément dans l’atelier de Siemens Energy situé à Montréal. Selon Politico, Siemens Energy peut envoyer jusqu’à 6 turbines dans ses installations au Québec. Là-bas, les équipes peuvent procéder à des réparations et à des entretiens majeurs.

Après avoir été réparée, la pièce est retournée en Allemagne courant juillet. Cependant, l’acheminement prend du retard. Le retour de la turbine a Portovaya était prévu pour le 24 juillet. De plus, 3 à 4 jours supplémentaires sont encore requis pour la remise en exploitation après la livraison.

Gazprom indique ne pas avoir reçu certains documents nécessaires de la part de Siemens Energy. Ces documents attendus sont censés prouver que l’acheminement et la réparation de la turbine sont exemptés de sanctions occidentales.

Le Canada lève les sanctions pour les pièces de Nord Stream

Le Canada a d’abord retenu la turbine du fait de l’imposition de sanctions occidentales envers les actifs russes. Le 7 juillet, lors du G7, Olaf Scholz et Justin Trudeau ont tenu des discussions concernant le secteur énergique. Le ministre allemand de l’énergie et du climat, Robert Habeck, demandait au Canada de renvoyer la turbine, dorénavant réparée.

3 jours plus tard, le Canada annonçait délivrer une autorisation pour exempter de sanctions le retour de la turbine russe. Par ailleurs, les États-Unis soutenaient cette décision.

Cette autorisation indique que, pour une période de 2 ans, les turbines nécessitant une réparation au Canada ne seront pas soumises aux sanctions occidentales.

Finalement, le 17 juillet la turbine retournait en Allemagne, selon le journal russe Kommersant. Cependant, à ce jour, la pièce reste encore bloquée là-bas.

Cette décision de la législation canadienne a particulièrement choqué la diaspora ukrainienne présente en Amérique du Nord. Celle-ci a donc entamé une action en justice pour annuler ce permis. Le président ukrainien, Vlodymyr Zelensky, fustigeait aussi de cette décision la qualifiant de synonyme de capitulation.

L’entretien des turbines de Nords Stream 1 fait cependant figure d’exception concernant les sanctions canadiennes à l’égard de la Russie. De fait, depuis le 17 mars 2022, Ottawa impose un gel des avoirs et une interdiction des transactions à des entités russes, dont Gazprom.

Moscou réclame des documents à Siemens

Le média Kommersant rapporte qu’en raison de documents nécessaires manquants, la turbine n’avait pas pu prendre un ferry partant d’Allemagne jusqu’à Helsinki. Lors d’une conférence du 20 juillet, Vladimir Poutine a déclaré qu’il n’attendait pas uniquement le retour de la turbine. Il souhaite également récupérer des attestations juridiques stipulant que le Canada abandonne les sanctions concernant l’entretien des turbines.

Pour régler ce contretemps, il faut donc que Gazprom et Siemens s’échangent les papiers nécessaires.

En outre, le retour de la turbine ne signifierait pas obligatoirement une hausse des livraisons de gaz de Nord Stream 1. Kommersant déclare que plusieurs autres unités pourraient également avoir besoin d’entretien au Canada.

Pour Berlin, la Russie est responsable

Avec un Nord Stream 1 ne fonctionnant plus qu’à 4 % de sa capacité dès le 14 juin, puis passant à 20%, l’UE commence à s’inquiéter. Les pays européens visent à remplir leurs capacités de stockage de gaz avant l’hiver 2022-2023. Certains pays, comme l’Allemagne et la Bulgarie, sont particulièrement dépendants des hydrocarbures en provenance de Russie.

Ainsi, les acteurs européens remettent en cause l’excuse de l’incident technique à Portovaya. L’UE soupçonne finalement Moscou d’utiliser le gaz comme une arme politique.

Pour Berlin, l’affaire est claire: le retard de l’acheminement de la turbine n’est qu’un prétexte. La pièce ne peut pas représenter la raison de la baisse des livraisons de gaz de Nord Stream 1.

Le 18 juillet, un porte-parole du ministère allemand de l’économie indique que cette turbine ne devait être utilisée qu’à partir du mois de septembre. L’absence de cette pièce ne pourrait donc pas être la raison de la baisse d’approvisionnement.
Reuters signale également, le 22 juillet, que 2 sources proches de l’affaire affirment que la Russie tardait à faire avancer le dossier.

Un souci technique à la station Portovaya

Les stations de compressions sont indispensables pour l’exploitation d’un gazoduc. En cas de panne ou d’incidents quelconques, la structure n’achemine plus de gaz.

Courant juillet, The Oxford Institute for Energy Studies (OIES) publie une étude sur l’affaire Nord Stream. L’enquête énumère alors les problèmes techniques de la station Portovaya. Cependant, l’institut n’a pas eu d’informations permettant de savoir le nombre de turbines nécessaires à un fonctionnement normal.

L’envoi d’une turbine dans un pays tiers est un fait inhabituel. Le système prévoit normalement un traitement sur place, pour des raisons pratiques. L’envoi de la turbine de Nord Stream 1 au Canada est donc significatif d’un besoin d’entretien réel et important.

Dans un futur proche, le Canada pourrait accueillir d’autres turbines russes. Le rapport de l’OIES indique que 5 unités sont actuellement hors-service.

Selon l’OIES, une solution pour régler le problème de turbine aurait été d’utiliser des unités russes Ladoga, à la place des pièces de Siemens.

En l’occurrence, Gazprom peut décider d’installer ces turbines fabriquées en Russie, moyennant des travaux et des coûts d’installation. Selon l’OIES, la station de compression de Nord Stream 2, à Slavyanskava, dispose vraisemblablement de turbines Ladoga inutilisées. Gazprom n’aurait cependant pas tenté d’initier une telle entreprise.

Gazprom dans ses droits ?

Le 14 juillet, Gazprom déclare un cas de force majeure (FM), avec effet rétroactif au 14 juin. Cela justifie la réduction du flux du gazoduc pour soucis techniques, mais ne signifie pas un arrêt total des activités.

En outre, une déclaration de FM 30 jours après la réduction des livraisons de gaz peut paraître tardive. L’enquête de l’Oxford Institute n’a pas permis de savoir si les conditions contractuelles couvraient ce délai. Dans le cas contraire, un acheteur européen serait en position de contester la FM. La résolution d’un litige de ce cas durerait ainsi plusieurs années.

Une maintenance du gazoduc a lieu chaque année pendant l’été, pour une durée pouvant aller jusqu’à 2 semaines. Pendant cette période, le gazoduc n’achemine plus de gaz. Cette année, la fermeture temporaire du gazoduc a eu lieu entre le 11 et le 21 juillet.

En cas de maintenance programmée, Gazprom doit communiquer la durée et les dates à ses partenaires. Il peut y avoir un prolongement de cette opération, mais elle fera l’objet de préavis et sera également limitée dans le temps. Enfin, une maintenance exceptionnelle peut avoir lieu en cas extrême, à n’importe quelle période de l’année.

Malgré certaines suspicions de prolongements, les approvisionnements en gaz ont bien repris vers l’Allemagne après cette maintenance. Cependant, le rythme a encore baissé.

Une réduction du flux de Nord Stream qui met la pression sur l’Europe

Le 29 juillet, les flux d’approvisionnement de Nord Stream 1 ne représentaient que 20% des capacités maximales. Pour reprendre un flux pré-maintenance, à 40%, le gazoduc doit patienter jusqu’au retour de la turbine. Si d’autres pièces nécessitent des réparations au Canada, le flux risquera encore de se réduire.

Il existe donc de réels soucis techniques à la station de compression de Portovaya. La Russie veut, avant tout, s’assurer de ne subir aucune sanction dans l’opération de maintenance de ses turbines. Avec la réduction du flux de Nord Stream 1, Moscou met également une pression sur le marché mondial du gaz.

Pour faire face à la situation, l’Europe vise à réduire sa dépendance au gaz russe. Selon Eurostat, en 2020, l’UE importait 40% de son gaz depuis la Russie. Le 25 juillet, les 27 se sont entendus sur un plan de sobriété. Le programme prévoit, d’ici mars 2023, une réduction de sa consommation de gaz de 15% par rapport aux 5 dernières années.

 

Illustration par Sofia Zheltukhina

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