La société China Petroleum & Chemical Corporation (Sinopec) intensifie ses efforts pour s’imposer comme fournisseur clé de carburant d’aviation durable (SAF, Sustainable Aviation Fuel) et d’offsets carbone à destination du marché européen. Objectif annoncé : atteindre 120 kilotonnes de volumes de négoce SAF dès 2025, tout en capitalisant sur l’avantage de certification RSB (Roundtable on Sustainable Biomaterials) de sa raffinerie de Zhenhai, dotée d’une capacité de production annuelle de 100 kilotonnes par la voie HEFA (Hydroprocessed Esters and Fatty Acids).
Une stratégie intégrée entre molécules et carbone
La dynamique réglementaire joue en faveur de cette montée en puissance. Le règlement ReFuelEU Aviation impose l’incorporation de 2 % de SAF dès 2025, portée à 6 % en 2030, dans le carburant délivré dans les aéroports de l’Union européenne. Parallèlement, le mécanisme CORSIA (Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation), piloté par l’Organisation de l’aviation civile internationale (ICAO), entre dans sa phase de conformité pour la période 2024-2026. Les compagnies aériennes doivent y compenser la croissance de leurs émissions par des crédits carbone ou du SAF certifié.
Pour répondre à ces exigences, Sinopec mise sur une offre couplée : des volumes de SAF certifiés associés à des crédits carbone négociables, issus notamment du marché chinois ETS (Emissions Trading System), en cours d’extension aux secteurs lourds comme le ciment ou l’aluminium. Ce double positionnement permet d’élargir les marges en combinant les spreads SAF/jet A-1 et les différentiels de valeur entre les crédits carbone chinois (CCER) et européens (EUA).
Pression sur les intrants et arbitrages logistiques
La filière HEFA, majoritairement fondée sur les huiles de cuisson usagées (UCO), demeure contrainte par la disponibilité et la volatilité des prix des matières premières. La compétition croissante sur ces intrants, stimulée par les mandats européens, renforce le risque de tension sur les marges et les coûts de production. Sinopec prévoit des investissements ciblés dans ses infrastructures de Zhenhai afin d’optimiser les rendements unitaires et réduire le coût marginal du SAF.
Sur le plan logistique, les arbitrages d’export Asie-Europe se construisent en fonction des primes régionales SAF, du fret maritime et des capacités de stockage. L’entrée en vigueur de l’obligation pour les aéroports européens accueillant plus de 800 000 passagers d’assurer l’accès au SAF contribue à stabiliser les perspectives de débouchés pour les volumes exportés.
Alignement réglementaire et ancrage géopolitique
La certification RSB obtenue par Zhenhai facilite l’accès au marché européen, où les règles imposent une traçabilité complète du cycle de vie carbone (LCA, Life Cycle Assessment) et le respect des standards ASTM. Sinopec envisage également d’accroître sa présence sur les marchés carbone internationaux, notamment par l’ouverture de comptes registre via des entités établies dans l’Union européenne, afin d’opérer directement sur les marchés des crédits.
La convergence progressive des marchés carbone, combinée à l’ouverture réglementaire chinoise sur les crédits domestiques, offre à Sinopec une fenêtre stratégique pour lier ses flux SAF à des offres de compensation carbone. Cette configuration permet d’adresser la pression croissante exercée par les réglementations européennes sur les compagnies aériennes, tout en renforçant la crédibilité de l’entreprise dans un environnement sous forte surveillance réglementaire.