Le groupe chinois Gotion High-Tech prévoit d’investir 5,6 milliards $ dans une usine géante de batteries à Kénitra, au nord du Maroc. L’usine, dont la mise en service est attendue pour le troisième trimestre 2026, ambitionne de produire jusqu’à 100 gigawattheures (GWh) de batteries par an, soit l’équivalent énergétique de près de deux millions de véhicules électriques. Il s’agit de l’un des projets industriels les plus importants dans le pays depuis le lancement de la stratégie énergétique nationale visant à renforcer les énergies renouvelables.
Une consommation énergétique en tension avec le mix actuel
La construction de cette gigafactory intervient alors que le Maroc reste fortement tributaire des énergies fossiles. En 2023, près de 28 térawattheures (TWh) sur les 43 TWh d’électricité produits provenaient du charbon, représentant environ deux tiers de la production nationale selon le Partenariat énergétique Maroc-Allemagne. Le gaz naturel reste également un contributeur majeur du mix énergétique, limitant la capacité du pays à fournir une énergie bas-carbone à ses nouvelles industries.
Or, la fabrication de batteries lithium-ion est reconnue pour sa forte intensité énergétique. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime qu’il faut entre 50 et 65 kilowattheures (kWh) pour produire un seul kilowattheure de capacité de batterie. Si l’usine de Gotion High-Tech atteint sa capacité maximale, elle pourrait consommer plusieurs térawattheures par an, soit une part notable de la production électrique marocaine actuelle.
Un projet au cœur d’un écosystème automobile en pleine expansion
L’installation devrait alimenter les constructeurs automobiles déjà présents dans le pays, notamment Renault et Stellantis, tout en visant les marchés européens et du Moyen-Orient. Elle comprendra également une production intégrée des composants clés comme les anodes et cathodes, renforçant la chaîne de valeur locale. Le Maroc, qui a exporté pour plus de 14 milliards $ de véhicules en 2023 selon l’Office des changes, affirme ainsi sa volonté de consolider sa place comme plateforme industrielle régionale.
Par ailleurs, le projet intervient dans un contexte réglementaire renforcé. Le règlement européen sur les batteries (EU 2023/1542), applicable depuis août 2025, impose aux fabricants de se conformer à des critères stricts de durabilité et de traçabilité. La question de l’empreinte carbone liée à la fabrication dans des pays à forte intensité fossile pourrait donc influencer les futures relations commerciales avec l’Union européenne.
Un positionnement stratégique malgré les contraintes
Le Maroc vise une capacité renouvelable installée de 52 % d’ici 2030, selon sa stratégie énergétique nationale. En 2023, les énergies renouvelables — solaire, éolien et hydraulique — représentaient entre 37 et 40 % de la production électrique, selon le ministère de la Transition énergétique et l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA). Néanmoins, cette progression reste insuffisante pour répondre à court terme à la demande d’une industrie électro-intensive comme celle des batteries.
La mise en service de la gigafactory de Kénitra marque une avancée industrielle majeure, mais soulève des interrogations quant à l’adéquation entre la capacité électrique disponible et les ambitions industrielles du pays.