Le gouvernement norvégien a officiellement lancé cette semaine le projet industriel Longship, qualifié de première chaîne intégrale de captage, transport et stockage de dioxyde de carbone (CO₂) au monde. Cette initiative, soutenue financièrement par l’État norvégien à hauteur de 22 milliards de couronnes (environ 2 milliards d’euros), est destinée à répondre aux besoins des industries difficiles à décarboner telles que la production de ciment et l’incinération de déchets. Deux sites industriels principaux sont initialement intégrés au projet : la cimenterie de Heidelberg Materials à Brevik et l’usine d’incinération Hafslund Celsio située près d’Oslo. Le processus implique le captage du CO₂ à la source, suivi de sa liquéfaction, de son transport par bateau jusqu’au terminal maritime d’Øygarden, près de Bergen, puis de son injection sous-marine profonde.
Un processus logistique intégré
La première installation opérationnelle du projet Longship est la cimenterie de Brevik, propriété du groupe allemand Heidelberg Materials, capable de capter environ 400 000 tonnes de CO₂ par an. Un second site, l’usine d’incinération Hafslund Celsio, entrera en service en 2029 avec une capacité annuelle de captage de 350 000 tonnes. Après leur capture, les émissions sont acheminées par navire jusqu’au terminal portuaire de Øygarden. Là, elles transitent par des infrastructures construites sous le projet Northern Lights, piloté par le consortium énergétique Equinor, Shell et TotalEnergies, qui assure leur injection géologique.
Les installations de Northern Lights, déjà opérationnelles depuis l’an dernier, disposent actuellement d’une capacité annuelle de stockage de 1,5 million de tonnes de CO₂. Ce volume devrait s’accroître progressivement pour atteindre 5 millions de tonnes par an d’ici 2028, permettant au site d’absorber les émissions d’autres installations industrielles européennes dans les prochaines années.
Financement et modèle économique du projet
L’investissement total pour le projet Longship est estimé à environ 34 milliards de couronnes (près de 3 milliards d’euros), réparti entre dépenses d’installation et coûts opérationnels sur une période initiale de dix ans. L’engagement financier significatif de l’État norvégien représente près des deux tiers du coût total, soulignant ainsi la complexité économique actuelle du captage et du stockage de CO₂ sans soutien public.
Ce soutien étatique répond directement à la problématique économique rencontrée par les industriels : actuellement, il est généralement plus avantageux d’acheter des quotas d’émissions carbone sur le marché européen ETS (Emissions Trading System) que d’investir dans des technologies de captage et stockage. La rentabilité du projet dépend donc essentiellement des subventions publiques et d’une montée en puissance des capacités de stockage qui pourraient générer des économies d’échelle à plus long terme.
Les défis technologiques et économiques du CCS
Le captage et stockage du carbone (CCS, Carbon Capture and Storage) demeure une technologie complexe, impliquant des processus industriels coûteux en termes d’infrastructures. Au niveau mondial, la capacité totale installée pour le captage de CO₂ se limite actuellement à environ 50 millions de tonnes par an, soit approximativement 0,1 % des émissions mondiales annuelles de carbone, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cela illustre les défis considérables que rencontrent les industriels pour généraliser ce type de technologie sans subventions.
Le modèle norvégien entend précisément adresser ces difficultés par la mise en œuvre d’une chaîne industrielle complète et intégrée. Le transport maritime de CO₂ liquéfié sur de longues distances jusqu’au site offshore représente par exemple un coût important, même s’il permet de centraliser les flux pour optimiser la gestion du stockage géologique. Ce dernier est réalisé par injection dans un aquifère salin situé à environ 110 kilomètres au large des côtes norvégiennes et à une profondeur de 2 600 mètres sous les fonds marins.
Intérêt européen et perspectives
L’infrastructure mise en place par la Norvège a également vocation à être utilisée par d’autres industriels européens confrontés à des objectifs réglementaires stricts en matière de réduction des émissions carbone. La future capacité élargie de Northern Lights à 5 millions de tonnes annuelles en fait potentiellement un hub européen majeur de captage-stockage, attirant l’intérêt des industriels d’autres pays européens confrontés à des contraintes réglementaires de plus en plus exigeantes.
Plusieurs entreprises européennes, en particulier issues de secteurs énergivores comme la cimenterie, l’acier ou encore les produits chimiques, envisagent déjà d’exploiter cette nouvelle infrastructure de stockage géologique norvégienne pour répondre à leurs propres obligations climatiques imposées par l’Union européenne. Le modèle économique norvégien, combinant captage à la source, logistique maritime et stockage offshore, pourrait donc se révéler une solution de référence au niveau industriel dans un contexte réglementaire européen en constante évolution.