Près de 60 % des grandes entreprises mondiales cotées déclarent viser la neutralité carbone d’ici 2050. Cette tendance est particulièrement marquée en Asie, où des multinationales japonaises, chinoises et sud-coréennes ont vu leur nombre d’engagements progresser ces dernières années. Toutefois, ces annonces cachent une réalité plus complexe : la majorité des entreprises recourent à des mécanismes de compensation pour pallier leur incapacité à réduire efficacement leurs émissions de gaz à effet de serre.
Le rapport du consortium Net Zero Tracker dévoile que seulement 5 % des entreprises étudiées respectent l’ensemble des critères de neutralité carbone définis par des organismes indépendants comme l’ONU. Ces critères incluent des objectifs précis de réduction des émissions, une prise en compte des gaz à effet de serre autres que le CO2, ainsi qu’une limitation de l’usage des compensations carbone. En d’autres termes, les efforts actuels des entreprises pour réduire leur empreinte carbone reposent encore largement sur des pratiques controversées.
Un recours massif aux compensations carbone
L’usage généralisé des compensations carbone, telles que la reforestation ou le financement de projets verts, est au cœur de la critique. En effet, plusieurs études indépendantes remettent en question la réelle efficacité de ces mécanismes, qui permettent aux entreprises de présenter des résultats sur le papier sans réduire véritablement leurs émissions à la source. Ces compensations sont parfois perçues comme un moyen détourné d’éviter des investissements lourds dans la décarbonation directe de leurs processus industriels.
Par ailleurs, les experts dénoncent la mauvaise qualité de certaines de ces initiatives. Des projets de captage de CO2 mal encadrés ou des promesses de reforestation non tenues alimentent la méfiance envers les entreprises qui misent essentiellement sur ces compensations. Les acteurs du secteur de l’énergie s’accordent à dire que, pour atteindre la neutralité carbone, les entreprises doivent revoir leurs priorités en investissant directement dans des technologies de réduction des émissions.
Un besoin urgent de réduction à la source
La priorité, selon les analystes, devrait être donnée à la réduction des émissions de CO2 de plus de 90 % avant d’envisager des compensations. Or, la majorité des entreprises concernées continue à privilégier des solutions temporaires et peu coûteuses au lieu de s’engager dans des projets de transformation profonde de leurs activités. Le secteur de l’énergie, en particulier, peine à adopter les changements nécessaires pour réduire ses émissions à la source.
Takeshi Kuramochi, analyste au NewClimate Institute, souligne que les entreprises asiatiques, bien qu’en croissance en matière d’engagements, manquent encore d’une stratégie cohérente pour parvenir à une réelle décarbonation. Cette observation est partagée par l’Energy & Climate Intelligence Unit (ECIU) et le Data-Driven EnviroLab, qui signalent une tendance mondiale à privilégier des objectifs à long terme sans planification détaillée sur les étapes intermédiaires à franchir.
Une pression accrue sur les entreprises
Les régulateurs, ainsi que les investisseurs, commencent à exercer une pression croissante sur les entreprises pour qu’elles rendent des comptes sur leurs actions de décarbonation. Catherine McKenna, présidente du groupe d’experts de l’ONU sur les engagements « zéro net », estime que ces promesses de neutralité carbone ne sont crédibles que si elles s’accompagnent d’une réelle transparence dans la gestion des émissions.
Pour cela, les entreprises doivent intégrer des outils de suivi rigoureux et des objectifs à court terme, tout en diversifiant leurs investissements dans des technologies de réduction directe des émissions. La transition énergétique mondiale ne pourra être réalisée qu’avec une action combinée des entreprises, des gouvernements et des institutions financières, selon McKenna.
Les multinationales asiatiques face à leurs responsabilités
Les entreprises asiatiques, en particulier celles basées au Japon, en Chine et en Corée du Sud, figurent parmi les plus actives en matière d’annonces de neutralité carbone. Toutefois, selon Net Zero Tracker, beaucoup de ces engagements restent vagues, avec des détails peu clairs sur les mesures concrètes à mettre en œuvre. La pression sur ces entreprises est d’autant plus forte que l’Asie est un des plus grands contributeurs aux émissions mondiales de CO2.
Des initiatives comme celles de Oxford Net Zero cherchent à encourager une approche plus stricte et transparente en matière de décarbonation. Ces initiatives soulignent l’importance pour les entreprises de fixer des objectifs vérifiables et mesurables à chaque étape du processus, et non seulement d’annoncer des ambitions pour 2050 sans plans concrets pour les 5 ou 10 prochaines années.
Les résultats du rapport montrent également que les pays les plus avancés dans ce domaine restent concentrés en Europe, où les régulateurs imposent des exigences plus strictes aux entreprises. Cela contraste fortement avec certaines régions d’Asie, où la réglementation reste moins contraignante.